Numérisation, automatisation, mondialisation, transitions démographiques, migrations et évolution des attentes individuelles et sociétales font bouger les lignes et bousculent les repères. Le monde du travail connaît une profonde mutation, promesse d’opportunités et d’interactions nouvelles, comme autant d’armes pour lutter contre le chômage. Une aubaine à saisir pour enfin inverser la courbe du chômage, qui touche 1 jeune sur 4 et représente un total de 3,5 millions de chômeurs en France métropolitaine.
L’urgence de la situation impose d’accélérer la politique économique, sociale et éducative innovante et structurante pour l’avenir de notre pays.
Permettre à toutes les formes d’activité de coexiste
Le modèle social de la France d’après-guerre s’est bâti autour du CDI à temps plein mono-employeur, fruit d’un consensus social entre les entreprises, les actifs et l’Etat. Pourtant, le monde a changé et nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à envisager le travail indépendant et l’entrepreneuriat, avec près d’un Français sur deux qui se dit concerné ou intéressé par une activité professionnelle indépendante, et nombre d’entreprises s’ouvrent également et de plus en plus à ces nouvelles formes d’emploi, utiles à leurs enjeux d’externalisation. Mieux encore, plus de huit Français sur dix estiment que le développement du nombre de travailleurs indépendants est positif pour l’épanouissement (86%), pour l’emploi (85%) et pour répondre aux besoins des entreprises (82%).
Le moment est donc venu de rompre avec cette division, voire cette opposition entre indépendance et salariat. En effet, comme le rappelle Emmanuelle Barbara, « Le monde dans lequel on entre n’est plus celui du contrat de travail à durée « éternelle » mais celui d’une plus grande mobilité entre plusieurs statuts, plusieurs métiers, plusieurs activités ».
Répondre à ces aspirations passe par une transformation collective qui intègre les nouvelles formes de travail, notamment l’activité professionnelle indépendante, plébiscitée par 38 millions de Français. Soulignons que ces solutions d’avenir sont portées par des marchés en croissance, notamment dans certains secteurs : la data et le numérique (67%), l’agroalimentaire et l’environnement (56%), la santé et les métiers associés à la famille ou l’éducation (47%).
Protéger efficacement tous les actifs
Afin d’assurer une continuité de la protection sociale pour les personnes qui travaillent quel que soit leur statut, y compris lorsqu’elles en changent plusieurs fois pendant leur vie, nous devons inventer un régime de protection attaché aux personnes et non plus au statut. Comme le souligne Sophie Thiéry, « derrière la notion de protection universelle attachée à la personne, qui semble désormais faire consensus, se pose la question de son organisation : un socle pour tous les citoyens défini par l’Etat et financé par l’impôt, un système de protection assurantielle pour les tous les travailleurs quel que soit leur statut, basé sur les cotisations, ou un modèle hybride ? Voilà tout l’enjeu du dialogue social qui s’ouvre actuellement ».
Les indépendants sont d’ailleurs demandeurs d’une amélioration de leur protection sociale. Et le trio de tête de leurs priorités est : une retraite décente (24%), une assurance maladie et dépendance (22%) et une protection face au risque de perte d’activité (20%). Par ailleurs, sur la question de la prévention des risques santé liés au travail, la prise en compte des travailleurs indépendants dans les propositions de refonte de notre système de médecine du travail du rapport de Charlotte Lecocq sur la santé au travail ne peut qu’être saluée ; elle s’inscrit dans le sens de l’histoire sociale de notre pays.
La définition de la nouvelle protection sociale de l’actif et son financement constituent ainsi l’un des défis de la prochaine décennie.
Éduquer et former aux métiers de demain
Second enjeu, déployer des formations pour répondre au besoin de compétences induites par la transformation du marché du travail. Comme à chaque révolution, des métiers disparaîtront tandis que certains se transformeront et que d’autres apparaîtront.
L’OCDE a ainsi établi que d’ici 15 ans, 10 % des emplois seraient directement menacés de disparition car au moins 70% des tâches seraient accomplies par des machines ou de l’intelligence artificielle. Et près de 25% d’autres emplois verraient 50 à 70% de leurs tâches automatisées.
Dans ce contexte, Guillaume Cairou appelle à ce que « Les systèmes d’éducation et de formation traditionnels amorcent des transformations significatives pour s’adapter au futur du travail », à l’image de ses propositions pour diffuser une culture de l’entrepreneuriat auprès des nouvelles générations, à l’image du modèle suédois. En effet, la formation et les qualifications initiales ne suffisent plus et ne pourront plus jamais satisfaire les besoins de toute une vie professionnelle. Les actifs d’aujourd’hui, comme ceux de demain, doivent pouvoir acquérir des compétences nouvelles pour construire leur parcours professionnel, entre évolution et transition. C’est à cette seule condition que les actifs s’adapteront aux mutations du marché du travail et resteront performants.
Au-delà même des droits à formation renforcé pour les indépendants depuis leur intégration au CPA le 1er janvier dernier, se pose inéluctablement la question de leur accès. En effet, l’accompagnement des indépendants doit aussi se penser en considération de leur isolement pour accéder aux informations sur la formation, pour être conseillé, accompagnés et pour compenser leur manque à gagner quand ils sont en formation. Il appartient au Gouvernement et aux partenaires sociaux, de travailler à un accès juste et équilibré des droits ouverts aux actifs.
Repenser le dialogue social et la représentativité des nouveaux indépendants
Le troisième enjeu est celui de la modernisation du dialogue social et de la prise en compte de la voix de tous les actifs, y compris de ceux ayant recours aux nouvelles formes d’emploi. Pour François Hurel, « Il est urgent de redonner de l’efficacité au dialogue social en l’adaptant aux mutations en cours du monde du travail. La représentativité d’hier mérite d’être repensée à l’aune du million et demi de travailleurs indépendants aujourd’hui inscrits et du million supplémentaire qui s’inscrira demain ». En effet, le dialogue social diminue à mesure que croît la proportion des nouvelles formes de travail. Ce que confirment les chiffrent qui montrent que 76 % des travailleurs indépendants ne se sentent proches ni d’un syndicat de salariés ni d’une organisation patronale, alors que 89 % se déclarent prêts à s’engager pour défendre les mesures en faveur du développement des nouvelles formes de travail.
Il convient de réfléchir à la manière de passer d’un dialogue social de « consultation » à un dalogue social « d’engagement » pour construire un modèle dans lequel exigences économiques et besoins sociaux ne s’opposeraient pas, mais se potentialiseraient. Une utopie ? Non ! Une nécessité qui, en garantissant un travail décent et la justice sociale pour tous, tirera la croissance vers le haut.
Engager les moyens d’une stratégie nationale pour le futur du travail
Enfin, comme le souligne Jean-Hervé Lorenzi, « Pour répondre aux grands défis posés, il faut impulser collectivement des changements profonds ». Nous appelons donc le président de la République et le Gouvernement à définir, dès à présent, en lien avec les organismes publics et les acteurs socio-économiques, un Plan stratégique sur le futur du travail.
Ce futur a déjà un pied dans le présent, mais il est encore temps d’agir avec optimisme et efficacité.