L’Observatoire du Travail Indépendant (OTI) a été convié le 6 mai à une réunion de la Commission « Emploi, Qualifications et Revenus du travail » du Conseil national de l’Information statistique (CNIS), organisme chargé d’encadrer la production des statistiques publiques en France. L’occasion de prendre connaissance des nouvelles conclusions de l’Insee, de l’Acoss et de la Dares sur les évolutions professionnelles des travailleurs indépendants.
La statistique publique se penche davantage sur les travailleurs indépendants et non-salariés
De nouvelles études sont prévues au sein de l’Insee pour cette année, dans l’objectif de brosser un portrait plus complet des travailleurs indépendants et non-salariés. L’accent sera mis sur les travailleurs non-salariés (TNS), lesquels disposent désormais d’un panel « Non-salariés » spécifique au sein de l’institut et retraçant les trajectoires individuelles de ces travailleurs de 2006 à 2018. L’Acoss (aussi dénommée « Urssaf Caisse nationale » depuis janvier 2021) s’intéressera également davantage aux indépendants dans ses prochaines enquêtes.
Pour rappel, il existe une différence nomenclaturale entre travail indépendant et travail non-salarié : le travailleur est qualifié d’indépendant s’il n’est soumis à aucun lien de subordination dans l’exercice de son activité, alors que le non-salarié perçoit un revenu autre qu’un salaire.
Les multiples trajectoires du travail indépendant
L’Insee a dessiné un panorama détaillé du travail indépendant en France à partir de ses données les plus récentes. Ainsi fin 2017, le nombre d’indépendants s’élevait à 3,5 millions, soit 3,2 millions de travailleurs non-salariés et 300 000 assimilés-salariés (dirigeants de SARL, de SAS, etc.). Parmi ces 3,5 millions de travailleurs indépendants, 2,8 millions exerçaient une activité non-agricole, dont 900 000 sous le régime de micro-entrepreneur.
Les « indépendants dépendants » ont également été étudiés. La dépendance économique reste loin de la généralisation :
- 10% des indépendants dépendent d’un seul client ;
- 7% dépendent d’un seul fournisseur ;
- 4% dépendent d’un seul intermédiaire (une plateforme par exemple).
Les travailleurs non-salariés, plus âgés et plus masculins que les salariés
Depuis 2009, les travailleurs non-salariés ont investi le secteur tertiaire au détriment des secteurs agricole et industriel, toujours d’après l’Insee.
Ils sont relativement plus âgés que les salariés, avec un pic à 55 ans (35 ans pour les micro-entrepreneurs). Cela s’explique par leur carrière, ayant d’abord été salariés avant de devenir non-salarié en seconde partie de vie professionnelle : ils sont ainsi 75% à avoir exercé une activité salariée dans les trois ans précédant l’enquête. Par ailleurs, 65% des travailleurs non-salariés sont des hommes.
Enfin, les travailleurs non-salariés sont 16% à être pluriactifs, dont 75% exerçant une activité salariée en parallèle. Il ressort de ces données que 2,4 millions de travailleurs non-salariés n’exercent pas à titre principal une activité salariée.
Les revenus des travailleurs non-salariés, en hausse mais inégaux
Les disparités de revenu chez les TNS sont évidentes, avec un minimum à 1 200 € par mois pour les travailleurs du secteur agricole et un pic à 4 000 € par mois pour le secteur médical. Le revenu médian des micro-entrepreneurs reste faible, avoisinant 280 € par mois. Ces disparités de revenu sont nettement plus importantes en comparaison de celles prévalant pour le salariat. Les secteurs du TNS les plus sujets à de tels écarts sont la construction, l’industrie et le commerce.
Sur la période couvrant 2013 à 2018, en parallèle d’une réduction de 13% du nombre de TNS, l’Insee a constaté une augmentation générale de leur revenu, en partie grâce aux dispositifs de déduction des frais professionnels. En revanche, le revenu des micro-entrepreneurs a fondu de 20% sur la période 2009-2013. En raison de l’exode industriel, le TNS dans le Nord de la France s’est amoindri de 9%, quand l’installation massive de travailleurs en fin de carrière a généré une hausse de 13% du nombre de TNS dans le Sud. Cependant, le revenu médian des TNS est plus faible dans le Sud que dans le Nord.
La poursuite et la cessation d’activité des travailleurs non-salariés
Fin 2015, 46% des TNS le sont toujours après 9 ans d’activité, soit dans le détail :
- 38% des entrepreneurs individuels ;
- 48% des gérants ;
- 57% des libéraux.
Sans surprise, les deux motifs principaux de cessation d’activité sont le niveau de revenu généré et l’âge. Les gérants ayant généré un revenu négatif ou nul ont trois fois plus de probabilité de cesser leur activité que les gérants dans la situation économique de référence (c’est-à-dire générant un revenu compris entre le revenu médian et le revenu du troisième quartile). Quant à l’âge, les jeunes TNS ont plus de risque de décrocher de leur activité, en raison de leur manque d’expérience selon l’Insee. Ainsi :
- 85% des TNS le restent pendant une année ;
- ils ne sont plus que 73% à rester TNS sur cinq années consécutives.
Une mobilité professionnelle peu présente
La transition du salariat au TNS est relativement faible :
- 0,7% des salariés deviennent TNS après un an d’emploi ;
- 2,9% des salariés deviennent TNS après 5 ans d’emploi.
Trois ans après le lancement d’une activité en indépendant, le salaire parallèle ou les droits au chômage représentent :
- 80% des revenus des micro-entrepreneurs ;
- 17% des revenus des entrepreneurs individuels ;
- 16% des revenus des gérants.
Cette transition du salariat vers le TNS n’est pas sans conséquence financièrement, avec en moyenne une diminution de 8% des revenus une année après la transition. Cette diminution est durable pour les ouvriers et les titulaires d’un diplôme technique ou professionnel. Concernant la transition du TNS au salariat :
- 1,1% des TNS deviennent salariés après leur première année ;
- 9,1% des TNS deviennent salariés après leur cinquième année.
Enfin, et contrairement à une idée reçue, le régime de micro-entrepreneur ne constitue pas un tremplin vers le TNS classique : de 2010 à 2015, seuls 10% des micro-entrepreneurs ont adopté par la suite une forme classique de TNS. En raison de la faiblesse de leurs revenus cependant, un tiers des nouveaux micro-entrepreneurs sont pluriactifs.
De futurs axes de recherche proposés
Bernard Gazier, économiste membre de l’Institut universitaire de France et enseignant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a proposé de nouvelles approches du travail indépendant et non-salarié à retenir. Il souhaite des éclaircissements sur la facilitation du recours au travail indépendant lorsque le conjoint est salarié et bénéficie d’une situation plus stable. Il trouverait également intéressant d’analyser les horaires de travail des indépendants à travers le prisme des nouvelles formes du travail indépendant, plus flexibles, ainsi que la rentabilité de l’externalisation de certaines tâches dans les entreprises. Il a mentionné la « propension à entreprendre », conditionnée par de multiples facteurs dont la transmission familiale de savoir-faire, de valeurs et de comportements.
L’Union nationale des associations familiales (Unaf) a de son côté proposé d’étudier le coût d’opportunité occasionné par l’arrivée d’un enfant, lorsque le travailleur indépendant doit choisir entre employer ses heures à travailler ou à s’occuper de ce dernier. Elle attend de cette nouvelle étude potentielle la démonstration d’un effet de ciseaux, avec une baisse des revenus des indépendants parents et une augmentation de leurs dépenses.
L’Observatoire du Travail Indépendant soumet quant à lui l’idée de suivre plus précisément la trajectoire professionnelle spécifique des travailleurs indépendants des plateformes en France, à l’heure où le recours au portage salarial ou aux coopératives d’activité et d’emploi pour protéger les chauffeurs et livreurs est envisagé par les pouvoirs publics suite aux recommandations du rapport Frouin de décembre 2020.